Très opportunément le Conseil National de l’Ordre des Architectes appelle la profession et ses partenaires de l’action publique, ceux du secteur privé ainsi que tout citoyen à questionner la place et le rôle de l’architecte « au service des territoires ». Le foisonnement législatif de ces derniers mois – loi MAPTAM, loi ALUR, projet de loi NOTRe, projet de loi sur la transition énergétique… – confirme, s’il le fallait, l’intérêt d’une telle question. Dans ce contexte, il nous semble nécessaire que le sens et les fondamentaux de la loi de 1977 sur l’architecture puissent, à la veille de ses quarante ans, reprendre aujourd’hui de la vigueur dans les pratiques quotidiennes et dans les esprits.
La situation économique bouscule gravement le secteur de la construction et contraint les équilibres budgétaires des collectivités territoriales et de l’Etat.
Les crises génèrent malheureusement des réactions de repli et ont parfois tendance à figer l’imagination, au moins dans un premier temps, et il n’est pas étonnant d’entendre parfois la ritournelle de la supposée inutilité de la préoccupation « culturelle » dès lors que l’économie est atteinte.
Il n’est pas surprenant, non plus, de constater qu’à travers les doutes qui surviennent, çà et là, dans la définition des projets d’avenir de certains CAUE, les tensions budgétaires opacifient le champ de vision de celles et ceux à qui revient la responsabilité de garantir – à l’échelle du territoire départemental – les conditions d’épanouissement et de développement de politiques publiques de qualité architecturale, urbaine et paysagère.
Ces conditions passent par une mise en relation et une mise en mouvement des acteurs concernés : professionnels, élus, services des collectivités et de l’Etat, représentants de la société civile, monde associatif, au service d’une construction et d’un aménagement qui satisfassent les besoins des habitants par la production d’un habitat « de qualité ».
Or nous constatons que cette demande de qualité non seulement ne baisse pas, mais trouve de nouveaux arguments chez les particuliers, qui construisent, étendent ou rénovent leur logement, avec une demande de mieux en mieux formulée, notamment sur les questions d’efficacité énergétique. Cette précision de la demande s’accentue également chez les maires lors de la réalisation de leurs ouvrages publics comme dans l’élaboration de leurs projets urbains.
Il y a bien là un enjeu majeur pour les architectes, mais aussi pour les urbanistes et les paysagistes, qui doivent être en mesure de proposer des réponses les plus adaptées, les plus pertinentes, les plus créatives. Il est important que l’architecte intervienne au bon moment et à la bonne place dans le projet, ce que les CAUE rappellent régulièrement dans leurs interventions, formations et conseils auprès des maîtres d’ouvrages publics.
Cette responsabilité de qualité architecturale se situe en premier lieu, très en amont, dans les mains des maires qui, jour après jour, élaborent leurs documents d’urbanisme et signent les autorisations de construire ou d’aménager.
Ils ont besoin d’être accompagnés par les professionnels de leurs services, lorsque la taille de leur collectivité le permet et pour ne pas se démettre de l’exercice effectif de leur compétence de maître d’ouvrage, comme le souligne la loi MOP – encore en vigueur. Mais il est également nécessaire que soit organisé le recours à l’expertise privée selon des modalités qui garantissent l’accès à la commande dans de bonnes conditions pour les professionnels, et cela en maintenant un certain équilibre entre ce qui peut relever de l’ingénierie publique et ce qui constitue la base même de la ressource de la profession et du dynamisme de son secteur économique.
Les CAUE ont une responsabilité tout autant dans l’organisation de cet accès au conseil comme dans le conseil lui-même, et il nous paraît fondamental de permettre à toutes les collectivités de bénéficier de cette étape de conseil indépendant, permettant de « qualifier la question pour susciter une réponse de qualité».
En effet, un conseil ajusté peut souvent faire gagner un temps important pour la maîtrise d’œuvre quand la commande est bien formulée, celle-ci pouvant se consacrer essentiellement à la conception et à la mise en œuvre du projet. « Plus de commande, mieux de commande » dit-on généralement, lorsqu’à l’échelle d’un territoire il est avéré que le conseil CAUE engendre un marché de maîtrise d’œuvre de qualité dans des proportions non négligeables.
Pour le conseil aux particuliers, les architectes des CAUE se font pédagogues avec le candidat à la construction et facilitateurs de dialogue avec les services de l’ADS qu’ils accompagnent également – les agents des services ainsi que les élus décideurs. Cette image de « démineurs de recours » qui leur a été collée au fil du temps, n’est finalement pas si anodine et ses effets devraient un jour être mesurés en argent et temps économisés !
En outre les architectes des CAUE défendent la création architecturale et conduisent, autant que faire se peut, les pétitionnaires vers les professionnels.
Mais l’appui apporté en conseils concrets aux particuliers et aux collectivités, au moment du projet, ne saurait être efficace s’il ne s’enracine pas dans un « terreau » culturel que la sensibilisation et la formation des acteurs permettent d’ensemencer et de cultiver sur le long terme.
Et il y a aujourd’hui un enjeu majeur à ne pas voir s’affaiblir cette dimension du métier qui a pris différentes formes après les CAUE, avec les Maisons de l’Architecture, les équipes de médiateurs des villes et pays d’art et d’histoire, ou avec les associations indépendantes consacrées à ce sujet.
Oui, il n’y a pas de « sous métiers » de l’architecture, comme le souligne Martin Chenot, dans sa contribution au présent débat. J’en veux pour preuve la singularité de l’exercice de la profession des 600 architectes du réseau CAUE qui, sans « engager leur responsabilité dans l’acte de construire », développent une dimension du métier dans la médiation culturelle, l’ingénierie de formation, l’édition, la pédagogie, etc… en interdisciplinarité avec les champs du paysage et de l’urbanisme et appuyés par les métiers supports présents dans leurs équipes.
Cette singularité poursuit sa diversification, notamment avec le développement du conseil architectural couplé au conseil en énergie, une dimension que le projet de loi sur la Transition énergétique et la croissance verte doit renforcer en ouvrant la voie d’une plus grande implication du service CAUE dans ce domaine, tant à l’échelon des plateformes locales qu’au niveau de l’organisation régionale.
Les régions, précisément, seront plus vastes et moins nombreuses dans 6 mois. Non pas un territoire nouveau, mais de nouveaux périmètres et de nouvelles responsabilités. Nous pensons, en proximité avec les auteurs du récent rapport IGAC/CGEDD sur les CAUE, qu’il y a une dernière pièce du puzzle à glisser dans la hiérarchie des documents d’aménagement, en plaçant autour de la table d’écriture des SRADDT une expertise promotrice de la qualité architecturale, urbaine et paysagère. Les Unions régionales de CAUE, encore trop peu nombreuses, pourraient y jouer un rôle utile.
Ainsi, dans un jeu de dialectique d’échelles, depuis l’ouvrage ou la parcelle, jusqu’à la grande dimension du schéma régional, en passant par la ZAC, le PLU, le PLUI, le SCOT, la DTA…, il serait possible, par l’accompagnement toujours discret, mais pertinent de nos équipes, que la qualité architecturale puisse compter sur une pédagogie et une médiation, portées par les CAUE, fondées sur une solide expertise et propices à ouvrir, sans cesse, les voies d’un dialogue fécond entre la maîtrise d‘ouvrage et les hommes et les femmes de l’art architectural dont nos territoires – des plus vastes aux plus modestes – ont aujourd’hui plus que jamais besoin.
Jean-Marie Ruant, Architecte, Président de la FNCAUE