Plaidoyer pour une utopie urbaine

- par Julie Marchand Doctorante - CITERES, Université F. Rabelais Tours. L'architecte au service des territoires

A l’enthousiasme collectif de votre profession… qui semble chercher des pistes pour se renouveler ou bien qui cherche à guérir des coups qu’elle prend de toute part, je réponds par la proposition d’une ouverture d’esprit… Et si les architectes se penchaient sur la ville ancienne ?

 

Domaine réservé aux « Chaillotains » ? Oui et non. Les compétences des architectes diplômés de l’Ecole de Chaillot sont effectivement une réponse à l’habitat ancien mais elle n’est pas unique. Et surtout elle n’est pas suffisante. Le bâti protégé au titre du patrimoine urbain ne présente parfois pas de caractères patrimoniaux suffisants pour suggérer l’idée d’un architecte spécialiste. L’architecte étant assimilé à un constructeur, l’entreprise demeure le seul maître d’œuvre accessible. Un marché vous échappe. Alors oui, le seuil n’oblige en rien les propriétaires de l’ancien, qui ne créent pas plus de 20m² de plancher en secteur sauvegardé, à faire appel à un architecte. Mais l’Ordre répond déjà à cette question avec sa 7e proposition : une campagne grand public, qui ne reposera pas sur des arguments de superficie mais bien d’intérêt public. Et si l’architecte devenait le militant contre l’absence de qualité « réhabilitante » ?

J’ajoute que la ville ancienne, parfois sectorisée – et non sanctuarisée comme semble le penser la profession des DPLG – se compose aussi de bâtiments ne présentant pas de critères d’ancienneté insurmontables. Seuls subsistent le réglementaire spécifique, que la pratique rend moins âpres à l’usure, mais qui semble–t–il, vous lasse ou vous effraie. Une formation en droit de l’Urbain, telle que le suggère l’avocat chercheur Maître Michel Huet, serait idéalement bienvenue, pour vous armer et acquérir un savoir et un savoir-faire, car l’administration a ses règles, qui ne relèvent pas forcément des codes.

La règle ? Quelle dramatique contrainte pour l’architecture… Et si l’architecture contrainte par le site, en plus d’être contrainte par les normes, était un nouveau défi à relever ? Tellement contrainte qu’elle ne serait que morceaux d’architectures, des morceaux parfois invisibles de l’espace public… Oui je titille l’égotisme c’est voulu. Et je réponds à M. le Premier Ministre Alain Juppé, qui pointe avec un bon sens certain, que l’innovation repose sans doute sur plus de sobriété et de simplicité. Et si l’architecture contemporaine se faisait modeste, appliquée, révélatrice d’une construction antérieure, telle de la « dentelle » comme j’ai pu le lire, pour réparer une ville qui se désertifie. Ces centres-bourgs – si chers à M. Pascal Boivin, comme révélateur d’une identité de nos territoires – se vident. Pourquoi ? Absence de confort d’usage, de praticabilité, transformation d’usage mal avisée et irréversible, telle que la division d’espaces par exemples… mais aussi insalubrité due à l’abandon, l’abandon de propriétaires désarmés devant les entreprises qui usent et abusent de l’ancien, mais aussi devant les syndics de copropriété incompétents dans la gestion des ces biens si hétéroclites. L’architecte par son regard, son outil qui lui est propre, le diagnostic, peut être un atout. Sa mission serait de restaurer ces usages, ce confort, cette praticabilité… sa prouesse que celle-ci demeure lisible mais invisible aux yeux du quidam.

Point de création me direz-vous ? Allez donc voir à Tours ou à Poitiers, si l’architecture contemporaine, délicatement imbriquée ne trouve sa place. L’inconscient collectif n’est pas prêt ? Et si la reconnaissance d’un patrimoine reconverti ne venait qu’a posteriori ? J’en veux pour preuve le merveilleux travail mené par Bernard Desmoulins sur quelques de nos grands monuments, mais dont la délicatesse pourrait suggérer un imaginaire plus modeste.

Et si cette architecture nouvellement contemporaine discrète et insidieuse révélait la beauté de nos territoires par le maintien d’une typicité que, d’une part l’enseignement de l’architecture, et d’autre part la réglementation et la normalisation sclérosantes, visent à faire disparaître au profit d’une internationalisation de l’architecture.

La ville ancienne a besoin d’architectes. La réhabilitation a besoin d’architectes. La question de la compétence demeure, j’y reviens. Nombreux sont les projets au cœur de la ville – soumis à l’affreux architecte des bâtiments de France – qui mériteraient une prise en main par un architecte diplômé. Projets qui par leur typologie de travaux se résument parfois il est vrai à un ravalement de façade, mais qui souvent, par la complexité que représente les avis des ABF se transforment en projet de modification de façade, voire pour des immeubles en DUP, en monstre à cinq pattes – comprenez toiture, cage d’escalier, façade, menuiserie, réseaux, dont les corps de métier auraient besoin de bien plus qu’un coordinateur de travaux, mais bien d’architectes formés à cette vision globale…mais ne le sont-ils pas déjà ?

Non seulement la réhabilitation a besoin d’architecte, mais la conjoncture l’y invite. Solidarité et Renouvellement Urbain, Densification, Insertion urbaine, Transition énergétique du bâti existant (et non pas que celui des années 60-70)… entendez-vous tous ces territoires contraints par le méchant patrimoine qui vont avoir besoin de vous ? Alors la Renaissance est en marche ? Peut-être qu’il serait bon si telle est la mutation de se positionner pour une adaptation de la Renaissance internationale qui nous est proposée, telle que nos aïeux ont adapté la Renaissance italienne pour en dégager une Ecole française ? Notre territoire si attractif, aux enjeux paysagers si forts ne mérite-t-il pas une remise en question ?

Pour aborder cette mutation de votre profession, qui doit tenir compte plus que jamais de l’existant d’un territoire malmené, je soumets à votre jugement plusieurs positionnements :

  • Aux ENSA en premier, je propose de réfléchir à la constitution d’un socle commun de connaissances, comprenant une vraie composante d’histoire urbaine et d’histoire de l’architecture, d’urbanisme, de sociologie et de géographie sociale. Nombre sont les architectes dépourvus de culture architecturale antérieure à 1930 et qui se disent soucieux d’intégrer leurs bâtiments dans un contexte urbain qu’ils maîtrisent. Je rejoins à nouveau Alain Juppé sur une réforme réelle de l’enseignement supérieur d’architecture, éloignée du « Fuck the context », du projet comme seule unité de mesure. Loin de moi de mettre toutes les ENSA dans le même panier, certaines s’emploient à cette démarche depuis fort longtemps mais je m’interroge quant à la mutualisation de leurs approches pour constituer une vraie plus-value à l’enseignement de l’architecture français.
  • Aux élus et aux services techniques, j’enjoins à intégrer aux services opérationnels de vraies compétences juridiques d’abord, architecturales et urbaines ensuite. A l’heure d’une gestion des villes, y compris dans leurs composantes antérieures au 19e, par les collectivités dans leur PLU, il est important que les architectes intègrent les collectivités et que leurs confrères comprennent la nécessité d’un encadrement et la posture de leur jugement.
  • A la recherche ensuite, j’incite les premiers à se lancer dans la grande aventure du doctorat à promouvoir la transversalité – elle est à la mode, vous serez dans le ton – et ne pas cantonner leur recherche au simple sujet de l’objet architectural mais bien à prendre en compte, la ville. La ville, cet objet qui n’est enseigné nulle part, dont la fonction nous est révélée par la pratique de son réseau viaire toujours en tant qu’usager. Si nous enseignons la ville demain, nous aurons un langage commun.
  • Aux architectes enfin, à regarder plus loin que la maîtrise d’œuvre telle qu’ils la connaissent, pour envisager comment la French Touch pourrait toucher son patrimoine qui n’est autre que de l’architecture.

Et si après cette tribune, vous ne vous laissiez toujours pas convaincre, il faudrait alors se demander si la réhabilitation est vraiment un travail d’architecte ? A une réponse négative, un nouveau métier à créer, une nouvelle formation, peut-être avec ceux qui ne peuvent aujourd’hui exercer faute de HMNOP…

Julie Marchand Doctorante – CITERES, Université F. Rabelais Tours

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