Le rôle d’architecture-en-chef et les enjeux de l’architecture dans le projet gratte-Ciel centre-ville de Villeurbanne

- par Jean-Paul Bret, maire de Villeurbanne. L'architecte au service des territoires

Villeurbanne au cœur de la métropole lyonnaise :  2010-2030, une période clef pour la 2e ville de l‘agglomération lyonnaise qui voit émerger des projets de grande envergure, confirmant la place et le rôle de Villeurbanne dans le développement de la centralité métropolitaine. Forte d’une attractivité remarquable depuis plusieurs années, portée par une production de logements diffus sur l’ensemble du territoire (145 000 habitants en 2014 _ +17 % en 15ans), la Ville prend aujourd’hui un nouvel essor à travers l’émergence d’opérations publiques d’ores et déjà en cours de montage, voire de réalisation.

Villeurbanne marque ainsi son appartenance à la dynamique métropolitaine, soucieuse de progresser sans pour autant perdre ses spécificités.

Entre la permanence historique et la force du changement, la question de « la fabrique de la Ville » est au cœur des débats.

La ville s’en est saisi depuis une douzaine d’années, avec la mise en place d’une démarche de qualité architecturale et urbaine insistant sur l’enjeu d’écritures modestes et respectueuses, mais aussi porteuses de sens et de valeurs d’usages.

L’extension du centre-ville de Villeurbanne, aujourd’hui portée par la zac Gratte-Ciel Centre-Ville, est une illustration emblématique de cette démarche.

Gratte-ciel centre-ville, un projet remarquable dans un site d’exception
Implanté dans le prolongement nord de l’ensemble monumental des gratte-ciel réalisé par Môrice Leroux en 1934, le site de la ZAC Gratte-ciel centre-ville a fait l’objet de nombreuses réflexions préalablement à la décision du Grand Lyon et de la Ville en 2011 de mettre en place une opération publique d’urbanisme à travers une Zone d’Aménagement Concerté.

L’ensemble des Gratte-Ciel est classé en AVAP (Aire de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine). Le site est exceptionnel. Son histoire aussi.

Il est l’œuvre d’un maire, Lazare Goujon, qui souhaite construire un centre identifiable par rapport à Lyon et symbolique pour sa population, un centre moderne, soucieux de la qualité de vie de ses habitants.

Il est l’œuvre d’un architecte Môrice Leroux, qui s’inspire de diverses influences européennes et nord-américaines en construisant les premiers gratte-ciel de France.

Il est le fruit d’une innovation en termes de portage opérationnel, avec la création d’un outil ad hoc, la SVU (Société Villeurbannaise d’Urbanisme) première société d’économie mixte en France, mise en place à cette occasion.

Inscrit dans une grande composition urbaine nord-sud, l’ensemble des Gratte-Ciel accueille 1450 logements sociaux, une centaine de locaux commerciaux, l’hôtel de ville, le palais du travail et le Théâtre National Populaire.

Cette opération monumentale unique en Europe a inscrit Villeurbanne dans l’Histoire architecturale et urbaine du XXe siècle.

Mais, tournés sur eux-mêmes et finalement encombrés par des opérations immobilières des années 60 à 80 peu soucieuses d’incarner le renouveau du centre-ville, les Gratte-Ciel ont eu du mal à générer, au-delà de leur geste initial, une dynamique pérenne de développement de la centralité villeurbannaise.

L’enjeu du projet Gratte-ciel centre-ville consiste à ouvrir et renforcer le site historique des gratte-ciel en le prolongeant au nord du cours Emile Zola et en épaisseur est-ouest sur un secteur constitué par un tissu ancien dégradé.

Consciente de sa responsabilité vis-à-vis de l’histoire urbaine et de la symbolique attachée à ce site, la Ville revendique une démarche de projet exigeante en termes de sens, de qualité et d’innovation, dans le projet architectural et urbain, dans la programmation et dans les processus de mise en œuvre.

Les termes du projet
Deuxième ville-centre de la Métropole avec Lyon, Villeurbanne accueille aujourd’hui plus de 145 000 habitants autour d’un centre historique, qui malgré sa monumentalité, est resté figé dans sa configuration d’origine.

Le projet Gratte-ciel Centre-ville a pour objet de doubler la capacité du centre actuel en poursuivant la composition urbaine de Morice Leroux, tant en termes d’organisation marchande (le projet vise à doubler la surface commerciale du quartier), d’équipement (le projet réalise des nouveaux, lycée, groupe scolaire, complexe sportif, crèche indispensable au centre-ville, et vise à la création d’un pôle cinéma-culture jeune), d’habitat accessible (face au programme 100% social des Gratte-Ciel historiques, le projet doit réaliser 900 logements dont près de 50% dans des formes encadrés), que d’organisation urbaine et monumentale.

  • L’enjeu du rayonnement,

C’est à la fois un projet de développement de la Centralité à l’échelle de la Commune et un projet métropolitain, de l’envergure des projets sud Presqu’ile, Carré de soie ou Part Dieu., inscrit dans un modèle de métropole multipolaire.

 > Il s’agit de renforcer l’attractivité du centre-ville et sa structure commerciale, de développer une offre diversifiée de logements et d’activités, d’équipement et de commerces, au cœur d’espaces publics de qualité, accessibles à tous et mieux connectés aux différents quartiers.

  • l’enjeu d’un patrimoine vivant,

En prolongeant le quartier historique des gratte-ciel, l’ambition du projet consiste à développer un projet urbain contemporain en revisitant la vision avant-gardiste de l’époque.

> Il s’agit de comprendre l’essence même du projet et de repérer ses identifiants pour se projeter dans une nouvelle vision dont la cohérence doit trouver son évidence.

  • et l’enjeu de la modernité

80 ans après l’émergence de ce nouveau quartier, qui au-delà de sa composition monumentale audacieuse, est aussi l’illustration d’un projet social exceptionnel, la commune de Villeurbanne relève un nouveau défi qui doit s’inscrire dans son temps.

> Il s’agit de poursuivre la dynamique de ce grand projet, en s’inspirant de son architecture tout en évitant la facilité du pastiche et en développant une approche environnementale, porteuse de créativité comparable aux approches hygiénistes du début du XXe siècle : une réflexion sur la fonctionnalité, l’habitat, la gestion de l’énergie, sur les déplacements et notamment le stationnement.

Le rôle des politiques : porter une démarche responsable et démocratique

  • Un niveau d’exigence élevé

Le projet est emblématique.

Il est copiloté par la Ville et le Grand Lyon en lien avec l’aménageur, la SERL.

Le fait est, que face aux enjeux du projet, c’est le maire qui engage sa responsabilité dans la réussite de ce futur Centre-Ville élargi, qui doit être capable dans le temps, de supporter la comparaison avec l’état d’origine, il y a 80 ans.

« Nous avons une grand responsabilité, prévient Jean Paul Bret. Le passé nous oblige à avoir un niveau d’exigence élevé ».

Il s’agit d’une opération sans équivalent en France de par son ampleur.

  • La concertation au cœur du projet

Forts de ce constat et convaincus que la réussite d’un projet de centre-ville repose sur l’adhésion des habitants et acteurs de toute la ville, les élus s’impliquent dès 2007 dans une démarche de concertation exigeante :

– cycle de conférences publiques, permettant de partager les clefs de compréhension quant aux enjeux de l’urbanisme contemporain dans le domaine du développement durable, du patrimoine et des attentes sociétales,

– plusieurs cycles d’ateliers participatifs où les habitants contribuent à l’élaboration du projet sur les grands thèmes dans le cadre d’ateliers collaboratifs. La formulation, l’animation et la conduite des réflexions préalables sont alors confiée à l’architecte en chef du projet, afin de garantir les meilleures conditions d’interaction entre la conception du projet et les propositions de la population.

Le rôle de l’architecte-en-chef du projet
Il y a tout juste un an, la SERL, aménageur mandaté par le Grand Lyon pour porter la réalisation de l’opération, désignait en forte concertation avec la Ville et le Grand Lyon, et à l’issue d’une consultation, l’agence Nicolas Michelin comme architecte-en-chef du projet. ANMA prenait ainsi le relais de l’agence Christian Devillers, urbaniste-en-chef du projet entre 2008 et 2014, qui en a posé les grands principes urbanistiques, et accompagné la concertation jusqu’alors.

  • Le choix de Nicolas Michelin s’inscrit dans une continuité de pensée, et son projet dans une continuité de geste.

Il s’appuie sur l’analyse des Gratte-Ciel Historiques et les préconisations de Christian Devillers. L’idée est de ne pas créer de rupture avec ce qui a été fait dans les années 1930 tout en apportant une lecture contemporaine.

Affirmation et ré interprétation de la composition d’ensemble, définition des rythmes bâtis marqués par des immeubles flèche et des gradins, travail de socle et d’accroche au sol

« Nous allons bâtir des immeubles à gradins, garnis de jardins suspendus ou la lumière pourra rentrer plus facilement ».

  • En tant qu’architecte en chef, son rôle est central dans la construction de la modernité du projet.

Il a en charge de porter l’esprit du projet, de définir les invariants et de mettre en place les conditions pour atteindre les objectifs.

A ce titre, le projet s’inscrit dans une démarche de développement durable, au cœur des préoccupations de la ville contemporaine, comparable à la démarche hygiéniste et sociale-humaniste de la Ville du début du XXe siècle.

Les thèmes développés par Nicolas Michelin s’appuient sur la prise en compte du contexte ; l’expression d’une haute qualité d’usage ; la mise en place d’un projet vertueux en termes énergétique.

  • Au-delà, il doit être le garant de l’unité architecturale du projet.

Si les Gratte-Ciel 1930 ont une telle force dans la perception des villeurbannais, c’est sans doute qu’ils constituent une unique pièce urbaine monumentale homogène au milieu d’un tissu urbain très hétéroclite. Cette unicité est liée largement à leur genèse : portés par un maître d’œuvre unique, réalisés pour un maitre d’ouvrage unique par une seule entreprise de construction, dans un temps extrêmement réduit de quatre ans. Ainsi, la singularité des Gratte-Ciel de Villeurbanne s’incarne aussi dans cette unicité remarquable.

Un débat a donc eu lieu au sein des instances décisionnelles de l’opération (collectivités et aménageur) sur cet autre aspect de l’héritage des Gratte-Ciel et son impact sur les choix de projet, notamment en matière architecturale. Le choix d’une conception architecturale cohérente et tenue, pour ne pas dire unitaire, s’est finalement imposé et a guidé la conception du plan-guide réalisé par Nicolas Michelin.

Ce choix interdit le recours à des montages classiques (du type consultations de groupement promoteurs-architectes) qui conduisent le plus souvent à la production de collections d’objets tous plus singuliers les uns que les autres : position affirmée de certains grands projets, tels que Lyon-Confluence par exemple, ou situation vécue malgré un souci initial de cohérence, comme par exemple dans le cas de la zac des Maisons Neuves à Villeurbanne.

Ces références soulèvent bien sûr la question du juste niveau de contraintes et d’exigences formulées au travers des cahiers des charges : cahiers des charges qui devraient être à la fois suffisamment fermes pour garantir les objectifs généraux de l’opération, suffisamment souples pour inspirer la créativité des porteurs de projets, et suffisamment précautionneux pour ne pas interdire des solutions pertinentes même si imprévues. Une telle équation s’avère cependant particulièrement difficile à croiser avec l’objectif d’une conception architecturale cohérente te tenue à l’échelle de l’opération.

Ce choix impose donc d’imaginer des modalités de consultations et des organisations différentes.

Si le fait de confier un projet tel que l’opération Gratte-Ciel centre-ville à un seul architecte n’est aujourd’hui plus possible ni même souhaitable, il reste que l’architecte-en-chef doit se positionner justement dans l’orchestration d’un projet d’ensemble constitué d’un assemblage de contributions créatives.

La proposition étudiée consisterait à mettre en place sous la haute autorité de l’architecte-en-chef, un atelier de projet faisant travailler ensemble un panier d’architectes, retenus non pas sur un projet mais plutôt sur leur appétence à participer à une telle œuvre collective.

Une telle organisation interroge à la fois :
– la relation entre pilotes politiques et techniques du projet et concepteurs, parce qu’elle sous-entend un cadrage moins explicite des projets par des cahiers des charges fermes,
– mais également la relation entre promoteurs et architectes d’opérations, puisque le débat sur l’articulation entre programme, contraintes financières et conception architecturale est porté au sein de l’atelier.

Ce processus, alternatif aux pratiques devenues usuelles de consultation promoteurs-architectes, répond à la problématique singulière d’un centre historique patrimonial.

Il s’appuie très fortement, comme dans le projet des Gratte-Ciel 1930, sur un pivot central constitué par un binôme politique et technique, incarné par le mandant politique d’une part et l’architecte-en-chef d’autre part, dont il revisite la répartition des rôles compte-tenu d’un environnement technique et administratif complexe.

Il constitue également une contribution de l’opération à l’innovation en matière d’ingénierie de projet.

Cette équation constitue une condition de la réussite de l’opération Gratte-Ciel centre-ville, en même temps qu’une gageure dans laquelle la ville de Villeurbanne entend pleinement jouer son rôle.

 

Jean-Paul Bret, maire de Villeurbanne

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