Inventer un nouveau rapport entre habitat et agriculture

- par Odile Jacquemin, architecte. L'architecte au service des territoires

OSONS adosser les politiques de logement à celles de la préservation des terres fertiles et lancer le  slogan « UN m2 de terre nourricière pour UN m2 de logement construit ». Voici le texte proposé pour l’ Abécédaire des dernières rencontres nationales de l’ Habitat et du Logement à Avignon, dont je souhaite faire partager ici le message.

J comme  JARDIN : Un « jardin-pièce à vivre à toutes les saisons » comme clef des champs, pour remettre, intra-muros, comme dans la première Carthage, l’agriculture nourricière au cœur de la fabrique de la Métropole

Le jardin est au logement ce que l’agriculture est à la ville, sa moitié vitale, fusionnelle, ville qui se doit, demain, d’être aussi nourricière. Habiter ne se réduit pas à se loger dans une boite thermos, présentée comme l’ultime progrès du confort, après les wc au fond du couloir, l’eau chaude à tous les étages et la cuisine intégrée … Encore faut-il manger pour déféquer…se nourrir fait partie de l’habité.: La sécurité alimentaire des territoires est une exigence urgente  qui impose d’adosser les politiques de logement à celles de la préservation des terres fertiles  et de faire de cette alliance un  terreau tout aussi fertile pour inventer de nouvelles formes urbaines, une troisième voie, en rupture à l’étalement urbain initié par Chalandon dans les années 1970.

L’architecture naturelle est tendance, façades et toitures végétalisées sont à la  mode, mais, pour aller plus loin, il faut réconcilier les acteurs du  monde de l’agriculture et ceux de la ville, il faut  DECLOISONNER, inverser le regard, choisir le ET plutôt que le OU : après la figure du paysan-pêcheur décrite par  Fernand Braudel, puis celle de l’habitant-paysagiste racontée par Bernard Lassus, voici, à Marseille,  celle de l’archiculteur, qui, à côté (et peut être avec ?) celle du stararchitecte, offre aux  habitants-jardiniers de partager avec les agriculteurs-urbains  l’invention des nouvelles agricultures : Amaps, jardins partagés, ouvriers, familiaux, de curé, en carré… collectif ou en solo, de retraités et de réinsertion,  thérapeutiques, de senteur, de labeur et de bonheur .. Ils ouvrent la voie pour ne plus sacrifier toutes les dents creuses au dictat de la densification urbaine, dommage collatéral de la loi SRU… mais,  au contraire, pour y dessiner les vides nécessaires à la respiration des villes et y créer les emplois durables d’agriculteurs urbains. Les franchises d’onglerie et de toilettage pour chiens  ne durent pas…

Sûr, on le sait, les jardins sont facteur de lien social ; sûr, leur  fonction vivrière pèse dans l’économie domestique, surtout  en temps de crise ; sûr, ils réintroduisent dans la vie quotidienne  le temps cyclique et le rythme des saisons ; ils contribuent efficacement à  lutter contre les ilots de chaleur  en ville et ils répondent aux exigences des trames vertes et bleues nécessaires à la biodiversité…
mais, pas que…Production culturelle, par nature, le jardin est un espace de liberté, donc par essence subversif, à la fois poétique et politique : lieu où sortir du statut de consommateur  passif de son logement, ouvert à l’appropriation et la créativité permanente de l’habitant, lieu de ressourcement, de transmission des savoir-faire ancestraux, d’apprentissage  de la valeur du travail régulier et de longue durée, d’un savoir-être :  encore debout sur terre, les pieds sur un sol à gratter (et pas que sur des toits), les mains dans une matière dont être l’artiste artisan laborieux et heureux du plaisir du bel ouvrage : Dans une société qui compte désormais deux générations de retraités-retraitables pour une d’actifs(mais dont 20% sont sans emploi), il y a urgence, car habiter, c’est vivre…

A l’heure où l’on compte 9 millions de mal logés et où l’on ne compte plus les sans-abris, il n’est pas indécent de revendiquer comme un droit pour tous le luxe de choisir (et non plus subir) de frissonner  de froid et de plaisir mêlés pour jouir, une nuit,  d’’un ciel étoilé ou de se faire tremper jusqu’aux os, les pieds dans la boue  en binant son carré, un jour de pluie… Dans la chaine de la fabrication du logement, il faut compter le jardin comme une  nouvelle pièce à vivre, un dehors dont la température n’a pas à être constante, mais qui impose aux acteurs du foncier de revoir leurs copies et leurs ratios. Contrairement aux apparences, c’est une mesure de grande et  de bonne  économie pour le territoire.

OSONS  SERINER comme une rengaine  «  UN DEPARTEMENT S ARTIFICIALISE TOUS LES 7 ANS (ou un stade de foot toutes les 5 mn et un  potager de 25m 2 à chaque seconde) 16 et 7 : PRENDRE LA MESURE des 16 m2 proposés par Le Corbusier pour vivre heureux au cabanon  et des 7 m2, surface nécessaire pour  nourrir une personne d’après les jardiniers en bio dynamie, qui  transmettent l’art savant de faire les justes rotations et bonnes associations de culture. Pour un territoire économe,  LANCER en pâture aux volontés politiques comme  à la désobéissance civile –  et d’abord aux professionnels du foncier et du logement social (ceux qui, historiquement, ont toujours donné l’exemple) –  le slogan de la reconquête d’un m2 de terre nourricière pour un m2 de logement construit.

 

Odile Jacquemin, architecte

 

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